DU YORKSHIRE À BRUXELLES, UN VOYAGE CULINAIRE TOUT EN CONTRASTE

Nous sommes en 1842. A la mi-février, Charlotte et Emily Brontë, sous la conduite de leur père, quittent leur Yorkshire natal pour Bruxelles. Les deux sœurs se rendent au pensionnat Héger dans un but bien précis. Elles doivent y apprendre le français afin d’ouvrir une pension dès leur retour en Angleterre. Leur séjour dans cette Belgique papiste ne se passe pas sans mal. Elles se considèrent en pays ennemi et nouent peu de liens. Par bonheur, leur relation épanouissante avec M. Héger, qu’elles admirent profondément, adoucit leur séjour. D’autre part, Charlotte goûte avec plaisir à la gastronomie belge, malgré son profond attachement à la tradition anglaise.
La Belgique n’a pourtant pas encore acquis une grande réputation culinaire. Elle subit même les railleries de ses voisins français, véritables maîtres en matière de grande cuisine. On y mange néanmoins correctement, tandis qu’en Angleterre, la cuisine ressemble aux journées que Charlotte passe au domicile familial de Haworth, à son retour du pensionnat de Roe Head : elle est triste et monotone. Alors que sur le continent, les cuisiniers français savourent leur triomphe en poussant l’art culinaire à son plus haut degré de raffinement, alors que les cuisinières françaises simplifient la haute gastronomie dans leurs modestes foyers, la majorité des Anglais, dont la famille Brontë, se contente d’une cuisine nationale sans aucun attrait.

1. LA CUISINE TRADITIONNELLE ANGLAISE EN DÉCLIN

Privée des forces vives de la nation culinaire, la cuisine rustique, dont l’Anglais est si fier, ne cesse de décliner, pour atteindre un niveau de médiocrité inconnu jusqu’alors. Une ration de pommes de terre à côté d’une viande cuite approximativement, voilà le quotidien des Anglais au XIXe siècle.
Pendant ce temps, la haute société londonienne se délecte lors de somptueux banquets concoctés par les meilleurs chefs français. Antonin Carême, maître incontesté de la cuisine impériale, Beauvilliers, premier grand restaurateur français et polyglotte averti ou Louis-Eustache Ude, qui mène une carrière fulgurante dans les plus grands clubs londoniens, officient aux côtés des autochtones francophiles Alexis Soyer et Charles Elmé Francatelli. Ornements fastueux, fonds de sauce sophistiqués, sauces élaborées, plats luxueux truffés et garnis d’écrevisses, rien n’est négligé pour épater la vue et les papilles délicates de l’élite du pays. Où est-il, ce temps où les pairs, les membres de la gentry et la haute bourgeoisie se nourrissent encore de la bonne et simple cuisine des comtés ? Où sont-elles, ces tables de la cour, garnies de beaux rôtis, de pies et de puddings ?
Ce temps où la grande cuisine anglaise est encore investie d’une solide tradition nationale, remonte au siècle précédent. C’est une époque où l’aristocratie de la campagne, c’est-à-dire les pairs et la gentry, impose ses goûts dans la capitale. Avant cela, au XVIe siècle, sous le règne absolutiste d’Elizabeth, s’est développée une cour brillante à la française. Pendant cette période, la plus haute aristocratie n’a pas résisté aux sirènes de la plus fine cuisine française. Ceci dit, les révolutions du XVIIe siècle ont porté un coup fatal au développement d’une cour semblable à celle de Versailles. Ainsi, le règne des Hanovre diffère nettement de celui des Bourbon par le large partage du pouvoir avec le Parlement. A Londres, il n’existe pas d’aristocratie muselée et domestiquée comme à Paris. A Londres, on ne voit pas de grands seigneurs oisifs affirmant leur rang par des dépenses somptuaires inconsidérées. On ne voit pas de courtisans faisant et défaisant les modes, sûrs de leur bon goût et laissant les ennuyeuses affaires de l’Etat au Roi et à son Gouvernement.
En Angleterre, c’est au Parlement que se gère le bien commun. Les bonnes grâces et les promotions ne s’obtiennent pas à la cour, mais chez les députés. Et dans la Society, on n’a pas besoin de se consumer en dépenses de prestige exorbitantes pour affirmer son rang. Ces dépenses existent, certes, mais n’ont aucune commune mesure avec celles des courtisans français. L’attention est moins portée sur les frais consentis à l’ameublement, à la garde-robe ou à la cuisine. Les pairs et la gentry ont d’autres soucis. Ils ont un pays à diriger.
Mais encore, l’élite anglaise passe la plus grande partie de l’année à la campagne d’où elle tire son mode de vie simple et économique. C’est une fierté, pour un lord du XVIIIe siècle, de consommer sa propre production. Son comportement ne variant guère quand il se déplace à Londres, il finit par influencer la mode davantage que la cour. Ce sont donc les principes de simplicité et d’économie qui dominent la pensée culinaire anglaise du XVIIIe siècle. C’est ainsi que la bonne et simple cuisine anglaise s’impose largement, même à Londres, au XVIIIe siècle, et que la mode culinaire s’imprègne de l’esprit campagnard des lords et de la gentry tout comme du pragmatisme et de l’esprit d’économie de la bourgeoisie.
La chose est inconcevable en France où la place du courtisan est tout naturellement à la cour et où la campagne est synonyme d’exil douloureux et ennuyeux. La vie rurale n’a aucun intérêt à ses yeux. Seuls le luxe et le raffinement l’élèvent dans la hiérarchie de Versailles. Sa cuisine sera donc luxueuse et sophistiquée. C’est ainsi que la mode française, inspirée par une aristocratie nettement détachée du peuple, fondamentalement citadine et outrancièrement dépensière, permet le développement d’une haute gastronomie professionnelle complexe et raffinée.
A Londres, il n’est évidemment pas question, comme à Paris, d’élaborer des plats compliqués, où l’aliment principal est noyé sous une nappe de sauce à base de coulis et où les viandes sont hachées et mélangées dans des mets indéfinissables. Des « quelque chose », comme les nomment les Anglais. Un bon quartier de viande rôtie, voilà la base de la cuisine anglaise, voilà ce que le voyageur incrédule ne trouve plus chez ces Français prétentieux et si fiers du soi-disant rayonnement mondial de leur gastronomie.
Ce rayonnement atteint d’ailleurs peu la littérature gastronomique anglaise. Hormis les quelques livres de cuisine de cour parus de 1660 à 1730 , les manuels anglais du XVIIIe siècle perpétuent la tradition vivace des livres de recettes depuis The Good Huswifes Jewel (1585), de Thomas Dawson et The English Hus-wife (1615) de Gervase Markam. Ces œuvres s’adressent aux maîtresses de maison campagnardes s’occupant du travail domestique et aux membres de la gentry désireux de consommer une cuisine simple, saine et vierge des mauvaises influences étrangères. L’avertissement de Markham est sans concession et traduit parfaitement les aspirations culinaires de la majeure partie de la Society aux XVIIe et XVIIIe siècles.
« Que sa (la maîtresse de maison) nourriture soit saine, préparée avec propreté, et prête à l’heure ; qu’elle soit cuite avec soin et diligence ; qu’elle soit faite pour satisfaire la nature plus que nos caprices, pour apaiser la faim plutôt que pour raviver de nouveaux appétits ; qu’elle provienne des provisions tirées de son jardin plutôt que des produits du marché ; et qu’elle soit plus estimée pour la connaissance familière qu’elle en a que pour l’étrangeté et la rareté trouvées dans d’autres pays. »
L’hostilité envers la cuisine française se précise dans la nouvelle génération des auteurs féminins du XVIIIe siècle. Pendant que se meurent les livres de cuisine de cour, les ménagères règnent presque sans partage sur l’édition culinaire. Elles s’adressent aux bourgeoises qui s’occupent elles-mêmes de leur ménage et à leurs domestiques. Evidemment, les principes de leur cuisine demeurent la simplicité et l’économie. Voilà pourquoi la gastronomie française fait l’objet de leurs attaques virulentes. Les débuts de la diaspora des chefs français dans les cuisines des aristocrates londoniens n’échappent pas à Hannah Glasse :
« Les gentlemen qui veulent un cuisinier français payeront les supercheries françaises. Un Français, dans son propre pays, préparerait un bon repas de vingt plats, tous élégants et superbes, pour la dépense qu’il comptera à un maître anglais pour la confection d’un seul plat (…) La folie aveugle de cette époque est telle qu’ils s’en laisseront imposer par un sot français plutôt que d’encourager un bon cuisinier anglais ! »
En règle générale, les critiques se concentrent sur la prodigalité française, incarnée par les fonds destinés aux sauces, bases de la haute gastronomie. Ces réduits, grands consommateurs de jambons, jarrets, volailles, truffes et autres aliments dispendieux, offusquent le bon sens de nos ménagères britanniques. Cédant tout de même à la mode des sauces, elles proposent des versions nettement plus anglaises des fameux coulis français. Elizabeth Raffald, probablement la plus pragmatique, propose une sauce brune colorée au sucre caramélisé et aromatisée au citron mariné. Cette sauce, assure-t-elle, « satisfait davantage à la beauté et au goût que le coulis, qui lui est fort onéreux ». Ces dames, d’apparence francophobe, adaptent donc des recettes françaises à leur manière. C’est le cas pour nombre de leurs plats empruntés au patrimoine culinaire français et adaptés au style purement anglais.
Bref, au XVIIIe siècle en Angleterre, la cuisine rustique, saine, simple et économique, imposée par les gentlemen farmer et illustrée par l’édition des manuels culinaires, connaît son âge d’or. Néanmoins, elle n’est pas purement britannique et se laisse influencer par des apports extérieurs, notamment français.
Dès lors, il est difficile de s’imaginer le terrible déclin de la cuisine rustique anglaise au XIXe siècle. Comment en est-on arrivé à la triste situation de l’époque victorienne ? Comment un pays à l’apogée de sa puissance a-t-il pu laisser périr sa cuisine nationale ? Pourquoi l’historien Stephen Mennel associe-t-il cette période à la « décapitation de la cuisine anglaise » ?
Au cours du XIXe siècle, les rangs de la Society s’élargissent de plus en plus. L’industrialisation triomphante et les nombreuses fortunes accumulées exercent une forte pression sur la Society. Un nombre croissant de familles aisées aspire à y entrer. En réaction, les conditions d’admission deviennent drastiques. Comme dans la cour française sous la monarchie absolue, on passe à une véritable compétition dans les dépenses de prestige. Dans ce contexte, la cuisine française occupe une place importante. De 1815 au milieu du siècle, son irrésistible ascension la mène à une place hégémonique au sein de la Society où on rivalise de luxe, notamment dans l’emploi de chefs français.
En 1816, le Prince Régent prend à son service le maître d’œuvre des fastes impériaux, Antonin Carême lui-même. Casanier et peu enclin au voyage, Carême ne reste que huit mois en Angleterre, mais il marque durablement les esprits. Le 18 janvier 1817, il organise à la résidence privée du Prince, à Brighton, un banquet magistral de cent trente-neuf plats. Les mets anglais y côtoient les mets français, mais c’est le style français qui domine largement. Les huit rôtis font pâle figure face aux quarante entrées, aux quinze assiettes volantes et trente-deux entremets. C’en est fini de cette bonne vieille tradition médiévale du rôti trônant sur la table en milieu de repas. Selon la nouvelle mode française, les fioritures ont pris le dessus sur la pièce centrale et la table devient une véritable œuvre l’art. Chaque plat est posé sur un socle finement sculpté représentant les chefs-d’œuvre architecturaux du passé. On est bien loin, ici, de la bonne, économique et simple cuisine anglaise.

La compétition dans les dépenses, inconcevable un demi-siècle plus tôt, devient la norme. Toute bonne famille désireuse d’entrer dans les hautes sphères de la société aspire à un style de vie luxueux. Les maîtresses de maison abandonnent leurs tâches ménagères, trop peu valorisantes, et désertent les fourneaux. En conséquence, les anciens garants de la cuisine rustique anglaise basculent dans la grande gastronomie française, c’est-à-dire la cuisine complexe, raffinée, ornementale et dispendieuse d’Antonin Carême et de ses disciples. Ainsi, de nombreux nouveaux riches tombent dans le luxe ostentatoire et Alexis Soyer rôtit des bœufs entiers lors de banquets gigantesques accueillant mille participants.
Aux yeux des observateurs attachés aux anciennes valeurs de travail, d’économie et de privation, cette débauche de luxe apparaît comme une débauche de vulgarité. Quoi qu’il en soit, la vogue française a fait son œuvre. D’une part, ses opposants se renfrognent dans une attitude clairement chauviniste et conservatrice, empêchant toute évolution dans la cuisine rustique. D’autre part, les grands cuisiniers étant presque tous français, la cuisine traditionnelle anglaise n’a plus de modèle auquel se rattacher. Elle ne peut pas bénéficier de l’enseignement de la haute gastronomie pour évoluer, comme cela se fait en France.
Ainsi, au XIXe siècle, les conditions les plus défavorables pour l’épanouissement d’une cuisine nationale sont réunies. L’élite, dont le mode de vie est totalement inaccessible aux couches inférieures, ne jure que par une gastronomie étrangère, à savoir la française, tandis que la cuisine ménagère a perdu tout son prestige. Les maîtresses de maison ne perpétuent plus les traditions en y ajoutant leur grain de sel et les domestiques cuisinent par dépit. Dans la restauration, le métier de cuisinier est dévalorisé au profit de celui de gérant. Il est impossible de connaître la moindre promotion sociale en restant aux fourneaux et quand on y entre, c’est par hasard ou parce qu’on n’a rien trouvé d’autre. De la cuisine rustique, on a conservé les principes de simplicité et d’économie, sans que personne ne songe à l’améliorer.
N’évoluant plus que dans les milieux modestes et dans les cuisines bourgeoises où officient des cuisinières et cuisiniers tout aussi ignorants que démotivés, privée de modèles plus élevés, la cuisine typiquement anglaise est condamnée à dépérir. Elle devient monotone et ennuyeuse. Elle vit ses pires années tout au long du XIXe siècle jusqu’à l’après-guerre. Les ouvrages culinaires eux-mêmes, qui continuent à être écrits principalement par des femmes, sont monotones. Ils n’éveillent aucune passion pour la cuisine et n’excitent l’appétit en aucune manière. Ils sont avant tout fonctionnels et se contentent d’insister encore et toujours sur l’économie, l’utilisation des restes et la simplicité.
Parmi ces publications, sortent tout de même du lot le New System of Domestic Cookery (1807) de Mrs Rundell, The Cook’s Oracle (1817) du Dr Kitchiner, le Modern Cookery for Private Families (1845) de la conservatrice Eliza Acton, qui donne sa préférence aux légumes surcuits, et surtout le Book of Household Management (1861) d’Isabella Beeton, qui demeure encore aujourd’hui une grande référence culinaire en Grande-Bretagne. Cette œuvre à connotation morale donne une foule de détails sur le savoir-vivre, la charité, l’engagement et le traitement des domestiques, l’habillement, la réception des invités, le repas familial, le choix de la maison, l’agencement de la cuisine, les tâches ménagères, l’organisation d’un banquet ou les menus selon les saisons. Mais, en fin de compte, il y a peu ou pas d’innovations dans ces ouvrages perpétuant la tradition anglaise qui, comme le dit si bien Mennel, piétine.

2. ENTRE LA BELGIQUE ET L’ANGLETERRE, UNE DIFFÉRENCE DE POINT DE VUE

Les sœurs Brontë ont bel et bien vécu le modèle culinaire anglais que nous venons de décrire et, en filles de pasteur de province, elles sont particulièrement attachées à la bonne et simple cuisine anglaise. Au presbytère paternel de Haworth, elles prennent invariablement un petit déjeuner abondant de porridge, lait, pain et beurre à 9h00, une viande rôtie ou bouillie avec un pouding, de la crème anglaise ou quelque autre douceur à 14h00 et le thé à 18h00. Le dernier repas de la journée, plus léger, est pris dans la cuisine. Même si les sources ne les citent pas, il est évident que le repas principal est accompagné de pommes de terre.
A entendre le témoignage d’Amédée Saint-Férréol, la cuisine belge n’aurait pas dû dépayser Charlotte et Emily lors de leur séjour à Bruxelles en 1842. Dans ses mémoires, ce proscrit du 2 décembre 1851 décrit les dîners servis dans les petits établissements bruxellois :
« On sert les pommes de terre – pain, sous le nom de patate, du peuple belge et base de son alimentation – cuites à l’eau, les carottes, les endives, les choux verts, rouges, blancs, préparés à l’eau, les poissons, raies, soles, plies, cabillauds, etc., que l’on fait figurer sur les tables seulement les jours maigres, apprêtés à l’eau, le veau, le mouton, le boeuf nageant, j’allais dire dans l’eau, tant la sauce, qui est la même pour tout, est claire, fade, incolore. »
Une viande ou un poisson bouilli accompagné de pommes de terre, voilà qui ne change pas beaucoup de l’Angleterre. Pourtant, Charlotte a gardé un tout autre souvenir culinaire de Bruxelles. Si elle place toujours la cuisine anglaise, simple et naturelle, au-dessus de la cuisine étrangère, elle se laisse tout de même séduire par des plats belges. Il y a ces mets épicés indéfinissables, mais pas pour autant désagréables, de viande hachée avec du pain, que cuisine Hortense, dans le roman Shirley. Des pains de viande ou des boulets, comme on dit chez nous. Des « quelque chose », comme les nomment les Anglais. La cuisine de Frances, dans The Professor, bien qu’étrangère, est savoureuse et préparée avec savoir-faire. A l’évidence, Charlotte n’a pas mangé que de la viande ou du poisson bouillis en Belgique, comme Saint-Ferréol, et a bénéficié d’une cuisine continentale qui ne lui a manifestement pas déplu.
C’est un autre aspect de l’alimentation qui a choqué Charlotte à Bruxelles. Dans une de ses lettres, elle témoigne de l’intérêt que les Belges portent à la nourriture. Elle décèle chez eux une inclination certaine pour la gourmandise. Inclination qu’elle impute, en bonne protestante, à l’attitude de l’Eglise catholique :
« Les esprits étaient élevés dans l’esclavage, mais pour empêcher la réflexion de s’en apercevoir, on saisissait les moindres prétextes de récréation physique. Ici comme partout l’Eglise s’efforçait d’élever ses enfants robustes de corps, mais faibles d’âme, gros, gras, rouges, sains, joyeux, ignorants, irréfléchis, incapables d’oser une question. « Mangez, buvez, et vivez ! » leur dit-elle, « occupez-vous de vos corps, vos âmes, je m’en charge. Je sais ce qu’il leur faut, je guide leurs voies, j’assure leur sort final. » Marché auquel tout vrai catholique croit trouver son compte. Mais c’est le même que Lucifer propose : toute cette puissance et cette gloire je te la donnerai, si tu veux m’adorer, tout t’appartiendra. »
Cette fixation sur la gourmandise est très présente dans l’œuvre de Charlotte. Les personnages qui aiment manger luxueusement sont systématiquement mal vus tandis que les personnages sobres sont bien considérés. D’un autre côté, lorsque Jane Eyre se choisit un repas pour la première fois, elle emporte un poulet, des petits pains et des tartes, mets de choix qui contrastent avec ses habituels pain, lait et Oatcakes.
Ce n’est donc pas le plaisir de manger, mais l’excès de chair que condamne Charlotte. Le protestant, à l’image du réformateur religieux John Wesley, peut très bien apprécier la cuisine délicate sans tomber dans le péché de gourmandise. Il s’offusquera donc du Belge qui, comme le souligne le journaliste belge Charles d’Ydewalle , « est plus gourmand que gourmet » et « se contente de grillades et de vin corsé ».
On imagine donc, au milieu de Bruxelles, une jeune puritaine anglaise offusquée par des Belges bon vivants, mais séduite par certains aspects de leur cuisine, pourtant si étrangère à ses goûts. C’est le savoir-faire culinaire des Belges, si on se fie à son œuvre, qu’elle a surtout retenu.
Il faut dire que la situation gastronomique est différente dans les deux pays. Le savoir-faire tant loué par Charlotte Brontë est en train de se perdre en Angleterre tandis qu’il se développe bien en Belgique. Même si l’art de Carême n’est pas encore largement diffusé dans le plat pays au milieu du XIXe siècle, la cuisine ne connaît pas l’anathème qu’elle subit Outre-manche. En fait, depuis des siècles, nos régions vivent dans la sphère culinaire française et les grands chefs du pays s’inspirent des maîtres français. Faut-il, avec Charles d’Ydewalle, affirmer que la « gastronomie française ne s’est établie à Bruxelles qu’au lendemain des grandes catastrophes » et que, « fuyant Paris menacé, les cordons bleus parisiens apportèrent, au lendemain de Sedan, les pommes frites et les hors-d’œuvre » ? C’est oublié un petit peu rapidement que la bonne société belge n’a pas attendu l’arrivée en masse de réfugiés politiques pour découvrir les hors-d’œuvre et que le peuple se régale de pommes de terre frites depuis les années 1830, bien avant le règne de Napoléon III. C’est oublié encore que la tradition de la grande cuisine française a toujours été présente en Belgique, que les ouvrages de La Varenne, de Massialot, de La Chapelle ou de Menon y ont été abondamment vendus et même édités.
La lecture des cahiers de ménagères « belges » du XVIIIe siècle est particulièrement instructive à ce propos. Au carrefour de plusieurs cultures, c’est la tradition française que nos cuisinières s’approprient le plus. Ainsi, tout comme la ménagère française, la ménagère belge reçoit les enseignements d’une grande cuisine professionnelle qu’elle simplifie. Bien sûr, dans le peuple, on ne mange pas très bien et la monotonie est le triste lot de la classe indigente, comme partout ailleurs dans le monde. Mais il existe une conscience culinaire semblable à la française, il existe une volonté de faire mieux, grâce aux modèles venus d’en haut. Le Belge aime manger et le travail du cuisinier est de lui procurer ce plaisir. Le statut du cuisinier belge est, dans ce contexte, bien différent de celui du cuisinier anglais. D’ailleurs, il existe chez nous de grands chefs renommés, tels que le gantois Cauderlier (1812-1887), qui apprennent et transmettent l’art d’Antonin Carême. Plus tard, ils s’affranchiront de la tradition purement française et élaboreront une cuisine entre tradition et modernité, entre influence internationale et recettes du terroir. Elle sera savoureuse et fièrement défendue par nos cuisiniers, dont les plus célèbres sont sans conteste Marcel Kreusch et Pierre Wynants.
Ainsi, si la situation n’est pas idyllique partout, il est clair que le terreau est bien plus favorable en Belgique qu’en Angleterre pour l’émergence d’une cuisine nationale de qualité. Nous observons donc que la cuisine française, présente aussi bien en Angleterre qu’en Belgique, a eu des conséquences très différentes dans les deux pays. Tandis qu’elle « décapite » la cuisine traditionnelle anglaise, elle inspire et élève la gastronomie belge.
On peut donc soupçonner Amédée de Saint-Ferréol, habitué aux fastes parisiens, d’avoir noirci le tableau culinaire de Bruxelles en ne décrivant que la cuisine des cabarets. On prépare dans la capitale belge d’autres plats que de la viande ou du poisson bouilli. Charlotte en témoigne avec bonheur, même si elle déplore la propension des Belges à manger goulûment.

3. UN BANQUET VICTORIEN

Afin de commémorer le passage des sœurs Brontë à Bruxelles, nous avons établi un menu de banquet victorien tiré en grande partie de l’œuvre d’Isabella Beeton. Ce menu a la particularité de contenir un certain nombre de plats typiquement anglais qui ont connu une véritable vogue en Belgique. Il contient également des plats continentaux particulièrement appréciés en Angleterre.

First Course
Oxtail soup
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Boiled Turbot with Lobster Sauce (Turbot bouilli avec sauce au homard)
Fried Whitings (Merlans frits)
Entrées
Lamb Cutlets and Peas (Côtelettes d’agneau et petits pois)
Oyster Patties (Pâté d’huîtres)
Fricandeau of Veal (Fricandeau de veau)
Second Course
Tête de Veau en Tortue (Cité en français en Angleterre)
Roast Lamb and Mint Sauce (Agneau rôti et sauce à la menthe)
Asparagus Pudding (Pouding d’asperges)
Vegetables (Sea-Kale, Brocoli & Spinach) and Fresh Salad (Légumes, choux marins, brocolis et épinards) et salade
Third Course
Duckling (Canard)
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Cabinet Pudding with Syllabub and Custard (Pouding de cabinet avec sabayon et crème anglaise)
Lemon Jelly (Gelée de citron)
Trifles
Apple Cheesecakes (Gâteau de fromage aux pommes)
Rhubarb Tart (Tarte à la rhubarbe)
Dessert & Ices (Dessert et glaces)

L’Angleterre, par sa position dominante dans le monde, suscite au XIXe siècle beaucoup d’admiration. La Belgique, en particulier, a d’excellentes raisons de cultiver son anglomanie. Peu sûre de ses expansionnistes de voisins que sont la France (surtout celle de Napoléon III), et la Prusse, elle se tourne naturellement vers la seule grande puissance garante de son indépendance : la Grande-Bretagne. En Belgique, faire figurer un Cabinet Pudding, un Oxtail Soup ou des côtelettes d’agneau panées à l’anglaise dans un menu orné du lion et du drapeau national a certainement plus de signification qu’ailleurs.
Mais revenons à l’Angleterre des sœurs Brontë. Comment se déroule une réception bourgeoise au début de l’ère victorienne ? A quoi ressemble un banquet typiquement anglais au XIXe siècle ?
Pour répondre à ces questions plongeons-nous dans le Book of Household Management d’Isabella Beeton. Il s’agit du livre le plus représentatif de la bourgeoisie anglaise du XIXe siècle. La jeune auteur y décrit le déroulement d’une réception typique de la bonne société. Comme nous l’avons vu plus haut, la majorité de la population n’accède pas au niveau gastronomique d’un tel banquet. D’ailleurs, même les classes plus favorisées sont coutumières d’une cuisine monotone et nettement moins raffinée. Le Roi des belges Léopold 1er, par exemple, fortement imprégné de culture anglaise, dîne tous les jours de côtelettes d’agneaux et de pommes de terre cuites à l’eau. Et on ne peut pas dire qu’il soit défavorisé. Il faut donc rester prudent sur ce que contiennent les livres de cuisine. Bien souvent, ils décrivent l’univers culinaire idéal d’un jour de fête qui ne correspond évidemment pas au quotidien de la population. Par exemple, notre menu ne contiendra pas de pommes de terre, qui sont pourtant la base de l’alimentation anglaise et belge, car cette dernière est associée à une nourriture de pauvre.
Une heure avant que les invités se mettent à table, les préparatifs commencent dans la salle à manger. Les domestiques sont à l’œuvre afin que tout soit parfaitement prêt au moment de l’arrivée des invités qui patienteront dans le salon environ une demi-heure. La tâche principale de la maîtresse de maison consistera à dissimuler son anxiété et à lancer des sujets de conversation suffisamment intéressants pour que cette difficile demi-heure passe le plus agréablement possible.
Dans la salle à manger, on s’active. Le valet, aidé d’un domestique, étend la nappe et prend garde à ce qu’aucun pli n’apparaisse. Il place ensuite les napperons dont le rôle est de recueillir les miettes de pain. Ils seront ôtés avant le dessert. Il doit prévoir jusque 5 ou 6 assiettes par personnes et autant de couverts. En Angleterre, on change de couvert à chaque plat. Le couteau est posé à droite de l’assiette, la fourchette à gauche, et, au milieu, une serviette soigneusement pliée contenant un petit pain dans son pli. Une fourchette et un couteau à découper ainsi qu’une cuiller à sauce sont disposés à chaque extrémité de la table. Le couteau à poisson se trouve du côté de la maîtresse de maison et la louche du côté du maître. Ils s’en serviront pour faire le service. Le valet termine la mise en place en disposant à la droite des assiettes autant de verres à vin qu’il y aura de vins.
Enfin, le valet n’oubliera pas les salières et les rince-doigts, ces derniers étant remplacés au dessert. Une fois que tout est prêt, il se rend au salon et annonce que le dîner est servi. Le maître de maison offre alors son bras à la dame qu’il désire honorer. Elle s’assoira à sa droite. Le mari de cette dame accompagnera la maîtresse de maison et s’assoira aussi à sa droite.
Cette mise en place ne diffère guère de la nôtre. Il en va de même pour le service, auquel les Anglais ont apporté quelques variantes. Il s’agit du service à la française qui, au XIXe siècle, vit ses derniers feux. Après un règne absolu de plus de deux cents ans sur l’Europe occidentale, il va définitivement céder la place au service à la russe, sous l’impulsion décisive d’Auguste Escoffier et de ses collègues. Trop lent, trop onéreux, trop ornemental, il ne répondra plus aux exigences de la bourgeoisie industrielle pressée et pragmatique. Il incarne trop l’Ancien Régime, époque où on avait le loisir d’admirer une table superbement agencée et garnie des plus belles richesses de la nature dans un décorum somptueux.
Le service à la française consiste à disposer sur la table tous les plats d’un même service. Traditionnellement, il y a trois services : le premier est composé du potage, du relevé de potage, des hors-d’œuvre et des entrées ; le deuxième est celui du rôt et des entremets salés et sucrés ; et le troisième, le dessert. En Angleterre, il y a également trois services, appelés Courses. Le premier est composé du potage et du relevé de potage. L’entrée est ensuite servie à part. Le deuxième service comprend les grosses pièces de viande rôties ou bouillies. Le troisième service, quant à lui, comprend un deuxième rôti ainsi que les entremets. Le dessert clôt le repas.
Lorsque les convives pénètrent dans la salle à manger, tous les plats du premier service sont placés à table selon une disposition bien étudiée. Ici, l’harmonie des goûts et des couleurs s’intègre dans un schéma parfaitement symétrique.

C’est le potage qui ouvre le repas, et non l’entrée, comme son nom nous le suggère, l’inversion entre les deux plats s’étant opérée au XVIIe siècle. Le valet se place alors derrière le maître qui sert le potage. L’opération finie, la soupière quitte la table et est remplacée par le relevé.
Les Anglais, quoique peu friands de soupes par rapport aux Français, ont tout de même imposé deux potages sur le continent. La soupe de tortue, animal aujourd’hui protégé, et l’Oxtail Soup, soupe à la queue de bœuf, figurent sur un grand nombre de menus belges de l’époque. L’Oxtail Soup, véritable must du XIXe siècle se prépare avec du ketchup. Le ketchup est une sauce de conserve bien épicée, avec du poivre de Cayenne et du gingembre notamment. Bien que la tomate se répande dans toute l’Europe à partir du XIXe siècle, ce n’est pas le Tomato Ketchup qui est le plus utilisé en cuisine anglaise, mais bien le ketchup de champignons. Ce dernier s’obtient à partir de jus de champignon macéré dans du sel et fortement épicé. On fabrique également du ketchup de noix et d’huître.
Le potage terminé, le relevé est découpé et servi aux convives. Chez nous, la découpe s’opère de préférence sur un buffet. En Angleterre, on mène l’opération à table. C’est la maîtresse de maison qui s’en charge avec le couteau à poisson mis à sa disposition, car en Outre-manche, le relevé est quasi systématiquement une grosse pièce de poisson. En Belgique, il s’agit d’une grosse pièce de bœuf et d’une grosse pièce de poisson. Des deux côtés, le turbot constitue un relevé de choix. Accompagné d’une sauce au homard, il est une véritable institution en Angleterre depuis le XVIIIe siècle. Dans son ouvrage, Isabella Beeton insiste sur la couleur rouge vif de la sauce au homard. Cela nous rappelle l’importance de la présentation et des couleurs dans la cuisine anglaise. Les couleurs vives sont appréciées et doivent être harmonieusement disposées sur la table.
Typiquement anglais et très apprécié sur le continent, le turbot à la sauce au homard s’impose dans notre menu. Nous l’accompagnons, comme c’est de coutume en Angleterre, de merlans frits.
En général, on profite de la découpe du relevé pour déguster les hors-d’œuvre. Il s’agit de petites préparations très légères et savoureuses apparues en France à la fin du XVIIe siècle. Ils ne sont pas indispensables au bon déroulement du repas. Les Anglais s’en passent d’ailleurs la plupart du temps. Peu de menus belges, par contre, en font abstraction. Les croquettes truffées, les rissoles , ou les petits pâtés d’écrevisses et de crevettes sont particulièrement en vogue en Belgique.
Après le relevé, c’est l’entrée. En France, elle fait partie intégrante du premier service tandis qu’elle s’en est désolidarisée en Angleterre. Les entrées sont très variées. Elles comprennent du poisson, de la viande de boucherie, de la volaille, du gibier et des abats (principalement du ris de veau), presque tous servis en sauce. Les Belges ont adopté, pour leurs entrées, les côtelettes d’agneau panées à l’anglaise et le gigot braisé à l’anglaise. Nous avons choisi les côtelettes que Lucie Snowe sert dans Villette. Nous les accompagnons d’un fricandeau et d’un pâté d’huîtres, qui ont fait le voyage inverse, du continent vers l’Angleterre. Le pâté d’huître est une sorte de bouchée à la reine, mais préparé avec les huîtres. Il se déguste déjà dans nos régions au XVIe siècle et figure dans les recettes de l’Ouverture de cuisine (1604) du maître queux liégeois Lancelot de Casteau. Le fricandeau est une cuisse de veau piquée de lard, braisée sur un lit de carottes et d’oignons et glacée avant d’être servie.
L’étape suivante est la pièce principale, c’est-à-dire le rôti. Mais là où les Belges ne consacrent qu’un service, les Anglais en font deux. En effet, chez eux, le deuxième rôti et les entremets font l’objet du third course qui suit un second course composé de viandes rôties ou bouillies.
La différence fondamentale entre les deux pays est justement la présence de ces grosses pièces bouillies, tels que le jambon ou la dinde, dans le deuxième service. Il s’agit d’une pratique impensable dans la tradition française. Bien qu’ayant perdu de son prestige depuis le Moyen Âge, le rôti occupe toujours solidement et exclusivement le deuxième service.
Finalement, c’est le third course, avec son rôti relevé par un pouding, et ses entremets sucrés tels que les tartelettes aux fruits ou les meringues, qui ressemble le plus à notre deuxième service.
Remarquons ici que Mrs Beeton sert la tête de veau en tortue au deuxième service. Ce grand classique de la gastronomie du XIXe siècle serait né à la fin du XVIIIe siècle en Belgique. Il s’est admirablement bien exporté en Angleterre. Si Isabella Beeton la sert au 2ème service, il s’agit pourtant d’une entrée. Les frontières entre les services sont donc moins nettes en Angleterre que dans la tradition française. Quoi qu’il en soit, la tête de veau en tortue, malheureusement oubliée aujourd’hui, apparaît presque systématiquement dans les menus belges. Elle est présentée à table désossée et parée de hâtelets à la manière de Carême. Ses garnitures sont particulièrement luxueuses : truffes, riz de veau, crêtes de coq, etc. La recette d’Isabella Beeton est bien entendu nettement moins dispendieuse et propose même d’utiliser des restes d’une tête de veau préparée la veille. Aucun soin n’est apporté à la présentation et les ingrédients laissent perplexes. Alors que la préparation doit contenir les herbes qui servent à la soupe à la tortue, à savoir le basilic, la marjolaine, la sauge, le romarin, le thym et le laurier, Mrs Beeton n’en mentionne aucune. Nous avons donc choisi la recette d’Antonin Carême, nettement plus orthodoxe. En outre, ce sera l’occasion d’apprécier une recette de la haute cuisine française de l’époque. Les autres plats que nous avons choisis, typiquement anglais, sont moins répandus de ce côté-ci de la manche. Nous n’avons cependant pas résisté à les faire figurer sur le menu, tant ils représentent la cuisine anglaise. Il s’agit tout d’abord du rôti d’agneau à la sauce à la menthe. Un pouding aux asperges, une salade et des légumes cuits à l’anglaise (choux de Bruxelles, brocoli et épinards) accompagnent la grosse pièce.
Arrive enfin le troisième service, qui correspond à la deuxième partie de notre deuxième service. Il s’ouvre par le rôti de canard, relevé par le fameux Cabinet Pudding, le pouding de cabinet comme on le nomme en français. Très réputé, on le retrouve sur de nombreuses bonnes tables de notre pays.
Que serait un dîner anglais sans ses entremets sucrés ? Parmi les entremets, nous avons bien sûr choisi une gelée, indissociable de la gastronomie anglaise. En fait, les gelées font partie intégrante de notre cuisine depuis le Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle. Nous en avons ensuite perdu l’usage, tandis que les Anglais en ont perpétué la tradition. L’entremet doit également comporter les fameuses pâtisseries anglaises, les véritables joyaux de leur gastronomie. Notre choix s’est porté ici sur les Trifles, c’est-à-dire des diplomates, les apple cheese cake et les tartelettes à la rhubarbe.
Les tartes aux fruits sont le lien le plus évident entre les gastronomies anglaise et belge. Dans les deux pays, ces pâtisseries sont particulièrement appréciées. Cela n’a pas échappé à Charlotte Brontë qui les cite à maintes reprises dans le contexte belge principalement.
Avant de servir le dessert, la table est débarrassée et les napperons sont ôtés. On apporte ensuite une petite assiette avec de nouveaux couverts, on enlève les plats du service précédent et on dresse le dessert, à savoir des corbeilles et des coupes de fruits frais, de fruits secs (des noix), de chocolat ou de sucreries diverses, garnies de feuilles et de mousse. Ces montages dépendent beaucoup de la saison et doivent être présentés avec goût.
Lorsque le dessert est terminé et qu’il y a eu un ou deux verres de vin servis, l’hôtesse se lève et accompagne les femmes au salon, laissant les hommes seuls. Pendant leur départ, les hommes se lèvent respectueusement et celui qui se trouve le plus près de la porte se charge de l’ouvrir. Ils ne se rassoient que lorsque la dernière dame a quitté la pièce.
On peut alors terminer le repas par la boisson nationale, à savoir le thé.

4. UNE RECETTE DU MENU

Voici, pour donner un exemple de plat typique à la fois du XIXe siècle européen et de l’Angleterre victorienne, la recette du relevé de potage, c’est-à-dire la grosse pièce de poisson, reprise dans le Book of Household, d’Isabella Beeton.
On remarquera, dans la recette de la sauce au homard, le souci d’économie et d’utilisation des restes. On y décèle également l’attention particulière portée à la couleur. La sauce doit être d’un rouge vif. En effet, les Anglais apprécient particulièrement les couleurs vives à leur table.
Le Melted Butter Made with Milk n’est autre que la béchamel qui sert ici de base à la Lobster Sauce.

Boiled Turbot with Lobster sauce Garnished

A. BOILED TURBOT

337. INGREDIENTS – 6 oz. of salt to each gallon of water.
Mode—Choose a middling-sized turbot; for they are invariably the most valuable: if very large, the meat will be tough and thready. Three or four hours before dressing, soak the fish in salt and water to take off the slime; then thoroughly cleanse it, and with a knife make an incision down the middle of the back, to prevent the skin of the belly from cracking. Rub it over with lemon, and be particular not to cut off the fins. Lay the fish in a very clean turbot-kettle, with sufficient cold water to cover it, and salt in the above proportion. Let it gradually come to a boil, and skim very carefully; keep it gently simmering, and on no account let it boil fast, as the fish would have a very unsightly appearance. When the meat separates easily from the bone, it is done; then take it out, let it drain well, and dish it on a hot napkin. Rub a little lobster spawn through a sieve, sprinkle it over the fish, and garnish with tufts of parsley and cut lemon. Lobster or shrimp sauce, and plain melted butter, should be sent to table with it. (See Coloured Plate E.)
Time.—After the water boils, about 1/2 hour for a large turbot; middling size, about 20 minutes.
Average cost,—large turbot, from 10s. to 12s.; middling size, from 12s. to 15s.
Seasonable at any time.
Sufficient, 1 middling-sized turbot for 8 persons.
Note.—An amusing anecdote is related, by Miss Edgeworth, of a bishop, who, descending to his kitchen to superintend the dressing of a turbot, and discovering that his cook had stupidly cut off the fins, immediately commenced sewing them on again with his own episcopal fingers. This dignitary knew the value of a turbot’s gelatinous appendages.
Turbot bouilli
337. Ingrédients – 6 onces (28,35 g) de sel pour chaque gallon (4, 54 l) d’eau
Préparation – Choisissez un turbot de taille moyenne, car ils sont les meilleurs : si il est trop gros, il sera coriace. 3 ou 4 heures avant de le servir, laissez tremper le poisson dans le sel et l’eau pour enlever son gluant ; ensuite nettoyez bien et faites une incision dans le dos avec un couteau, pour que la peau ne se déchire pas. Frottez le poisson avec le citron, et prenez garde à ne pas couper les nageoires. Mettez le poisson dans une turbotière, avec assez d’eau froide pour le couvrir et du sel dans la proportion indiquée ci-dessus. Laissez l’eau bouillir graduellement, et écumez très soigneusement, laissez frémir, et en aucun cas ne laissez bouillir fort, ou le poisson se détériorerait. Quand la chair se sépare facilement de l’arrête, c’est prêt ; ensuite sortez-le, égouttez-le bien, et mettez-le sur une serviette chaude. Passez un petit peu d’œufs de homard, étendez-en sur le poisson et garnissez de touffes de persil et de citron coupé. Vous pouvez présenter avec de la sauce au homard ou aux crevettes et du beurre fondu.
Temps : après que l’eau commence à bouillir, ½ heure pour un gros turbot, 20 minutes pour un moyen.
Coût approximatif : 10 shillings 12 pennies pour un gros, 12 shillings 15 pennies pour un moyen.
Pour toute l’année.
1 turbot moyen convient pour huit personnes.

B. LOBSTER SAUCE, TO SERVE WITH TURBOT, SALMON, BRILL, &C. (VERY GOOD.)

464. INGREDIENTS – 1 middling-sized hen lobster, 3/4 pint of melted butter, No. 376; 1 tablespoonful of anchovy sauce, 1/2 oz. of butter, salt and cayenne to taste, a little pounded mace when liked, 2 or 3 tablespoonfuls of cream.
Mode.—Choose a hen lobster, as this is indispensable, in order to render this sauce as good as it ought to be. Pick the meat from the shells, and cut it into small square pieces; put the spawn, which will be found under the tail of the lobster, into a mortar with 1/2 oz. of butter, and pound it quite smooth; rub it through a hair-sieve, and cover up till wanted. Make 3/4 pint of melted butter by recipe No. 376; put in all the ingredients except the lobster-meat, and well mix the sauce before the lobster is added to it, as it should retain its square form, and not come to table shredded and ragged. Put in the meat, let it get thoroughly hot, but do not allow it to boil, as the colour would immediately be spoiled; for it should be remembered that this sauce should always have a bright red appearance. If it is intended to be served with turbot or brill, a little of the spawn (dried and rubbed through a sieve without butter) should be saved to garnish with; but as the goodness, flavour, and appearance of the sauce so much depend on having a proper quantity of spawn, the less used for garnishing the better.
Time.—1 minute to simmer. Average cost, for this quantity, 2s.
Seasonable at any time.
Sufficient to serve with a small turbot, a brill, or salmon for 6 persons.
Note.—Melted butter made with milk, No. 380, will be found to answer very well for lobster sauce, as by employing it a nice white colour will be obtained. Less quantity than the above may be made by using a very small lobster, to which add only 1/2 pint of melted butter, and season as above. Where economy is desired, the cream may be dispensed with, and the remains of a cold lobster left from table, may, with a little care, be converted into a very good sauce.
Sauce au homard, à servir avec turbot, saumon, barbue, etc. (très bon)
464. Ingrédients : 1 assez grand homard femelle, ¾ de pinte de beurre fondu (n° 376) ; une cuillerée de sauce à l’anchois, ½ once de beurre, sel et Cayenne, un petit peu de macis concassé avec 2 ou 3 cuillerées de crème.
Préparation : choisissez de préférence un homard femelle. Ôtez la chair de la carapace, et découpez-la en petits cubes ; mettez les œufs, qui devraient se trouver sous la queue du homard, dans un mortier avec ½ once de beurre et pillez-les jusqu’à ce qu’ils soient homogènes, passez-les à travers un tamis et couvrez. Prenez ¾ de pinte de beurre fondu selon la recette n° 376 ; mettez-y tous les ingrédients excepté la chair de homard et mélangez bien la sauce avant d’ajouter le homard, afin qu’il garde sa forme carrée et n’arrive pas à table en lambeaux. Ajoutez la chair, chauffez bien, mais sans laisser bouillir, afin de ne pas détériorer la couleur ; à ce propos, rappelez-vous que cette sauce doit toujours avoir une apparence rouge vif. S’il est prévu de la servir avec du turbot ou du barbue, un petit peu d’œufs (séchés et passés à travers un tamis sans beurre) doivent être gardés pour la garniture ; mais comme la qualité, la saveur et l’apparence de la sauce dépend de la quantité d’œufs, utilisez le moins d’œufs possible pour la garniture.
Temps : 1 minute pour la cuisson.
Coût approximatif : 2 shillings
Pour toute l’année.
Pour être servi avec un petit turbot, une barbue ou un saumon pour 6 personnes.
Note : le beurre fondu avec lait, n°380, conviendra très bien pour la sauce de homard. Vous obtiendrez une jolie sauce blanche.
Une moins grande quantité que ci-dessus peut être obtenue en utilisant un très petit homard, auquel on ajoute seulement ½ pinte de beurre fondu et on assaisonne comme ci-dessus. Quand on désire économiser, on peut se passer de crème et les restes d’un homard froid laissé à table peuvent, avec un petit peu d’attention, devenir une très bonne sauce.

C. MELTED BUTTER MADE WITH MILK

380. INGREDIENTS – 1 teaspoonful of flour, 2 oz. butter, 1/3 pint of milk, a few grains of salt.
Mode.—Mix the butter and flour smoothly together on a plate, put it into a lined saucepan, and pour in the milk. Keep stirring it one way over a sharp fire; let it boil quickly for a minute or two, and it is ready to serve. This is a very good foundation for onion, lobster, or oyster sauce: using milk instead of water makes it look so much whiter and more delicate.
Time.—Altogether, 10 minutes. Average cost for this quantity, 3d.
Beurre fondu avec du lait
380. Ingrédients – 1 cuillère à café de farine, 2 onces de beurre, 1/3 de pinte de lait, quelques grains de sel.
Préparation. Mélangez doucement le beurre et la farine dans un plat, mettez-le dans une casserole et versez le lait dedans. Mettez à feu vif tout en mélangeant, laissez bouillir fort pendant 1 ou 2 minutes, et c’est prêt à servir. C’est un très bon fond pour la sauce à l’oignon, au homard ou à l’huître : l’utilisation du lait à la place de l’eau rend la sauce plus blanche et plus délicate.
Temps – Le tout en 10 minutes.
Coût approximatif – 3 shillings pour cette quantité.