DINER BELLE ÉPOQUE

LECTURE D’ÉMILE VERHAEREN

DE VEERMAN
De veerman, riemen in de handen,
Al heel de tijd in strijd stroomop,
Een halm groen riet tussen de tanden;

Maar ach, zij die hem riep,
ginds aan de overzij, over de golven,
en almaar verder, ver over de golven
Zij week in nevelwolken.

De vensterramen met hun ogen,
De torenwijzers op de oever
zagen hem slaven en sloven,
zijn hele lijf gekromd, geplooid,
over de woeste golven.

En plots een riem die brak,
de stroom joeg het stuk wrak
op snelle golven naar de zee.

En zij die naar hem riep,
leek ginder ver in wind en mist
nog wilder met de arm te zwaaien
naar hem die niet te naderen wist.

De veerman, met de riem die overbleef,
begon zo hard te zwoegen nu
dat heel zijn lijf van moeite kraakte,
zijn hart van koorts en angsten rilde.

En eensklaps brak het roer,
De stroming voer
Het dode wrakhout naar de zee.

De vensterramen op de oever
als ogen groot en koortsig
de torenwijzers als verweesde
mijlpalen langs de waterkant:
ze volgden stijf en star
de dwaze man die onverzettelijk
zijn dwaze tocht toch verderzet.

En zij die ginder naar hem riep
Gaf in de mist een schreeuw, een schreeuw
De blik vol angst gericht
Op water zonder einde, zonder zicht.

De veerman als een man van staal,
lijkbleek, rechtop, te midden van de storm,
één riem nog in de hand:
hij beukte op de golven , hield toch stand.
Zijn oude zienersogen
doorzochten de spokige ruimte
vanwaar hem steeds de stem bereikte,
een jammerklacht onder een kille lucht.

De laatste roeiriem brak
en als een strohalm bracht
de stroom hem jachtig naar de zee.

De veerman liet de armen hangen
en dof bezweek hij op zijn bank,
vergeefse moeite brak zijn lenden.
Een schok bracht toen zijn sloep op drift,
hij zag de oever achter zich:
hij was niet eens van wal gestoken.

De vensters en de torenwijzers
met ogen groot en strak
waren getuige van zijn laatste ijver;
de veerman oud en taai
hield -God mag weten voor hoelang-toch nog
de halm groen riet tussen de tanden.

Vertaling Patrick Lateur

par Kaat Bauters

Les Villes tentaculaires : La Bourse

L’air brûle – et les chiffres paradoxaux,
En paquets pleins, en lourds trousseaux,
Sont rejetés et cahotés et ballottés
Et s’effarent en ces bagarres,
Jusqu’à ce que leurs sommes lasses,
Masses contre masses,
Se cassent….
Mais le jour même, aux heures blêmes,
Les volontés, dans la fièvre, revivent ;
L’acharnement sournois
Reprend, comme autrefois.
On se trahit, on se sourit et l’on se mord
Et l’on travaille à d’autres morts.
La haine ronfle, ainsi qu’une machine,
Autour de ceux qu’elle assassine.
On vole, avec autorité, les gens
Dont les coffres sont indigents.

par Jany CLERSY

Les Campanes hallucinées : Les Mendiants

Dans le matin, lourds de leur nuit,
Ils s’enfoncent au creux des routes,
Avec leur pain trempé de pluie
Et leur chapeau comme la suie
Et leurs grands dos comme des voûtes
Et leurs pas lents rythmant l’ennui ;…

par Jany CLERSY

Les Ailes rouges de la Guerre : Les Exodes


De toutes parts
Les gens partent vers les hasards :
Il en est qui s’en vont poussant sur leur charrette
Le lit, le matelas, le banc, la chaufferette,
Et la cage déserte où mourut le pinson ;
D’autres chargent leur dos de vieilles salaisons
Qu’un voile épais et gris défend contre les mouches.
J’en ai vu qui tenaient une fleur à la bouche
Et qui pleuraient, sans rien se dire, atrocement.
Des vieux passent, serrant leur deuil et leur tourment,
Et les mères sont là, pauvres, mornes, livides,
Laissant mordre l’enfant à leur poitrine vide….

par Jany CLERSY

Les Bords de la Route : Les Corneilles

Le plumage lustré de satins et de moires,
Les corneilles, oiseaux placides et dolents,
Parmi les champs d’hiver, que la neige a fait blancs,
Apparaissent ainsi que des floraisons noires.

L’une marque les longs rameaux d’un chêne ami;…
Une autre est là, plus loin, pleurarde et solitaire,…
Une autre encor, les yeux fixes et vigilants, …
Reste à l’écart et meurt, vieille et paralysée,…

par Jany CLERSY

Les Heures d’Après-Midi : “Asseyons-nous tous deux près du chemin…”

Asseyons-nous tous deux près du chemin,
Sur le vieux banc rongé de moisissures,
Et que je laisse, entre tes deux mains sûres,
Longtemps s’abandonner ma main.

par Jany CLERSY

Les Flamandes : Les Vieilles, Truandailles, Les Vieux Maîtres

par Jany CLERSY

Les vieilles
Pour vous, vieilles, le jour c’est le masque sans dents,

C’est la paupière où du pus congelé se presse,
Faisant comme une plaie à chacun de vos yeux,
C’est le menton piqué de poils roux, c’est la teigne
Qui ronge par endroits le gris de vos cheveux,
C’est un cancer, servant à vos faces d’enseigne,
Ce sont vos deux sourcils râclés, ce sont vos seins
Clapotant sur les flancs leur flic-flac de vessie
Flasque, ce sont vos bras osseux, ce sont vos reins,
Vos doigts, vos mains, vos pieds gonflés d’hydropisie,
C’est votre corps entier, gluant, lépreux, perclus,
Carcasse répandant une telle asphyxie,
Que les chiens de la mort n’en voudront même plus!

par Jany CLERSY

Truandailles

Dites! jadis, ripaillait-on

Les gars avaient les reins plus fermes
Et les garces plus beau téton….
Chacun avait, à droite, à gauche,
Chair de femelle à savourer,
Chair grasse, prête à se cabrer
En des ruades de débauche….

Les Vieux Maîtres

Elles, ces folles, sont reines dans les godailles,
Que leurs amants, goulus d’amours et de jurons,
Mènent comme au beau temps des vieilles truandailles,
Tempes en eau, regards en feu, langue dehors,
Avec de grands hoquets, scandant les chansons grasses,
Des poings brandis au clair, des luttes corps à corps
Et des coups assénés à broyer leurs carcasses,
Tandis qu’elles, le sang toujours à fleur de peau,
La bouche ouverte aux chants, le gosier aux rasades,
Après des sauts de danse à fendre le carreau,
Des chocs de corps, des heurts de chair et des bourrades,
Des lèchements subis dans un étreignement,
Toutes moites d’ardeur, tombent dépoitraillées….
Les plus vieux sont encor les plus goulus à boire,
Les plus lents à tomber, les plus goinfres de chair,
Ils grattent la marmite et sucent la bouilloire,
Jamais repus, jamais gavés, toujours vidant,
Leur nez luit de lécher le fond des casseroles ….

On vomit dans les coins; des enfants gros et sains
Demandent à téter avant qu’on les endorme,
Et leurs mères, debout, suant entre les seins,
Bourrent leur bouche en rond de leur téton énorme.
Tout gloutonne à crever, hommes, femmes, petits;
Un chien s’empiffre à droite, un chat mastique à gauche;
C’est un déchaînement d’instincts et d’appétits,
De fureurs d’estomac, de ventre et de débauche,…

Toute la Flandre : L’Escaut

T’ai-je adoré durant ma prime enfance !

Escaut,
Sauvage et bel Escaut,
Tout l’incendie
De ma jeunesse endurante et brandie,
Tu l’as épanoui :
Aussi,
Le jour que m’abattra le sort,
C’est dans ton sol, c’est sur tes bords,
Qu’on cachera mon corps,
Pour te sentir, même à travers la mort, encor !

par Jany CLERSY